La Fédération française de tennis attaque préventivement certaines sociétés de paris sportifs sur Internet pour protéger Roland-Garros et se prémunir des trucages de match.
En tennis comme dans d’autres sports, la meilleure défense est souvent l’attaque. C’est la tactique que vient de mettre en pratique la Fédération française de tennis (FFT). Celle-ci a débuté sa montée au filet pour se prémunir contre les sites de paris en ligne. Hier, le tribunal des référés de Liège, en Belgique, a annoncé que la plainte déposée par la FFT à l’encontre de Bwin, Betfair et Ladbroke, sera plaidée le 11 avril prochain. Une action similaire est attendue devant une juridiction allemande.
S’ils passent par les référés, c’est justement parce que les pontes du tennis français ont envie d’aller très vite. Les Internationaux de France ne s’ouvrent que dans trois mois à Roland-Garros. L’objectif est d’interdire toute mise sur les matchs de l’Open à ces trois sociétés de paris en ligne, et à travers elles à toutes les autres plus ou moins légales.
la fft vise la protection
Sous ces procédures se cachent des sommes colossales. Jean François Villotte, directeur général de la FFT, a fait les comptes du dernier tournoi ATP de Paris-Bercy, l’hiver dernier. « Environ 150 sites proposaient de miser. Rien que sur Betfair, de loin le premier site, 230 millions d’euros ont été misés. En tout, on peut estimer qu’entre 500 millions et 1 milliard d’euros ont été engagés durant le tournoi. »
Pour Roland-Garros, l’argent misé sur Internet pourrait dépasser le milliard. Pas question que l’on se fasse des sous sur son dos sans recevoir de contrepartie financière. La Fédération veut faire respecter ses droits à la propriété intellectuelle. Roland-Garros est une marque déposée qui lui appartient. « Toutes ces actions menées par des organisateurs d’événements sportifs, comme par des clubs de football, sont défensives. Elles ne visent pas à valoriser ou à céder leurs droits aux sociétés de paris. Car, en dehors des monopoles (Française des jeux ou PMU - NDLR), les paris sont pour le moment interdits en France », explique Franck Lagarde, du Centre de droits et d’économie du sport (CDES).
La FFT ne vise donc pas le pactole. Plutôt la protection de son tournoi majeur contre la plus grande crainte actuelle des organisateurs : la révélation de matchs truqués. « Plus il y a de paris, plus l’exposition au risque croît. Même s’il n’y a pas de cas, il y a déjà suspicion et atteinte à l’image des épreuves », affirme Jean-François Villotte. Vers la fin de 2007, plusieurs joueurs ont avoué avoir été approchés par un intermédiaire pour lever le pied lors d’un de leurs matchs.
monopoles assouplis mais maîtrisés
Mais là ne s’arrête pas la stratégie de la Fédération de tennis. Derrière se profile le débat, au sein de l’Union européenne, sur l’encadrement ou non des sociétés de paris, ainsi que le changement annoncé de la législation française. Attaqué par les sites de paris sur Internet pour leur non-conformité au principe de libre concurrence, les monopoles de la Française des jeux et du PMU devraient rapidement être assouplis de « façon maîtrisée », selon le ministre français du Budget en charge du dossier, Éric Woerth.
La fin de ces monopoles signifierait l’arrivée de nouveaux partenaires économiques pour le sport professionnel. En les attaquant en justice aujourd’hui, le tennis français leur donne rendez-vous pour demain, lorsque la législation autorisera en France les sociétés de pronostics en ligne. Pour utiliser la marque Roland-Garros, il faudra alors payer.
De leur côté, les clubs de foot français attendent cela avec impatience, par la voix de leur représentant Philippe Diallo : « Il nous faut avoir accès aux mêmes ressources financières que nos concurrents européens. Cela passe par les jeux, en termes de sponsoring comme de versements de droits. » La société Bwin parraine par exemple le Milan AC et le FC de Barcelone.
Mais attention à ne pas ouvrir la boîte de Pandore, prévient Frédéric Bolotny, du CDES. « La valeur économique du secteur sportif tient au respect de certaines règles, comme celle de l’incertitude du résultat. Or, le problème est que les paris en ligne et le risque de trucage de match peuvent dévaloriser le sport. Contrairement au Loto, les paris sportifs ne sont pas virtuels mais s’appuient sur du réel : des clubs, des tournois. Il faudrait considérer les paris sportifs comme un secteur spécifique, avec une réglementation stricte. »
Stéphane Guérard
source humanité le 27/2/2008