Patrick Partouche. Le patron du premier casinotier de France (510 millions de chiffre d’affaires) nous fait son numéro.
Dans le jargon, c’est celui que l’on appelle le bon client. Le genre à vous débiter sa vie à la mitraillette en répétant à sa secrétaire que «le déjeuner attendra», à parler de lui à la troisième personne et à dégainer les métaphores comme d’autres enfilent les perles. Le patron du premier casinotier de France - en nombre d’établissements - est un phénomène. Un Monsieur 100 000 volts de la tchatche, meneur d’une revue familiale dont il narre l’épopée comme s’il s’agissait des Ford ou des Agnelli : la saga Partouche. Costume gris, le cheveu précocement blanc, ce père de cinq enfants issus de deux mariages reçoit dans son bureau parisien décoré comme une table de jeu. «On a un peu de temps, là ?» interroge-t-il en allumant cigarette sur cigarette. «Parce que j’adore raconter des histoires», poursuit-il en se délectant de chaque mot dans son français «d’amoureux du verbe», il est vrai très châtié. OK, Patrick, ça tourne, prêt pour la légende pied-noire avec flash-back sur l’Algérie où ce fils unique du «génial opportuniste» Isidore Partouche a vu le jour en 1964, à Oran. Juste avant le rapatriement et l’installation dans le Nord.
Forcément, ce golden son tombé tout petit dans «le spectacle» ne peut commencer autrement qu’en évoquant la figure du père. Comme si sa vie à lui n’avait fait que se fondre dans celle du paternel, radioélectricien de formation, premier concessionnaire Philips en Algérie puis successivement patron de karting au Touquet, de dancings dans le Nord et de casinos dans toute la France. Ce «capitaliste de gauche», comme il le présente, lui a «appris le travail vingt heures par jour et les deux piliers de [sa] vie professionnelle : le respect du client au sommet de tout, et le modernisme». De lui, il tient sa grande gueule, un sens très politique de la formule et son côté «France d’en bas». «Je la connais par cœur, c’est elle qui vient dans nos casinos et nous fait manger», soutient celui qui se voit comme un entrepreneur de loisirs dont la mission serait de procurer «un rayon de soleil». «Et puis Partouche, c’est aux antipodes de l’establishment», dit-il en assurant qu’aujourd’hui encore il ne serait pas surprenant de voir ses tantes mouiller le tablier dans la cuisine de l’un des 54 casinos français du groupe. Les 30 000 euros brut par mois et la conscience d’être un «ultraprivilégié» n’y changent rien. «O n n’oublie pas d’où l’on vient.»
Voilà pour la face ch’ti, nordiste, «bâtisseur juif à la mode protestante, si vous voulez». Car après le divorce de ses parents, le jeune Patrick, dont le berceau familial est situé à Saint-Amand-les-Eaux, entre Lille et Valenciennes, grandit à Cannes avec sa mère. Une artiste, professeure de danse puis de dessin. «C’est mon hémisphère droit, ma touche créative, émotive», dit ce patron d’un groupe de 6 000 salariés et 510 millions de chiffre d’affaires qui avoue qu’il va chez le psy quand il a «mal dans [sa] tête». «J’ai lutté pour ne pas me retrouver en petits caleçons moulants, rigole le fils chéri. Je déconne, mais vous voyez le décor : seul avec maman dans un vieil appartement…» De ce mélange de dolce vita à Cannes, où il vit aujourd’hui, et de vacances passées derrière le comptoir ou la caisse de papa dans le Nord, Patrick Partouche est ressorti tout «éponge». «J’ai vécu tellement de choses, j’absorbe tout.»
Lycéen mais déjà tenancier de boîte de nuit à 16 ans dans laquelle il reçoit ses profs, il n’ira pas loin après le bac. Une année de droit à Lille, une autre de gestion à Paris, ce grand oiseau de nuit pour lequel «faire la fête avec les clients est une composante essentielle du métier» n’en doit pas moins trouver sa place dans un groupe familial en pleine expansion. Si la marque du patriarche aura été de transformer les casinos en lieux de divertissement pour Monsieur Tout-le-Monde en surfant sur la vogue des machines à sous, le fiston cherche de quoi faire briller sa propre étoile.
Ce sera Internet, la nouvelle frontière du jeu qui lui allume des euros dans les yeux. Celui qui se targue d’avoir «tout» en matière de nouvelles technologies - les consoles, l’iPhone, «c’est [son] métier de tout essayer» - s’y brûle les ailes et écope d’un an de prison avec sursis pour s’être associé à un casino virtuel opérant depuis le Belize, micro-Etat d’Amérique centrale. «Je déteste l’injustice, le deux poids, deux mesures», dit-il en dénonçant le monopole de la Française des jeux - comparée à l’ORTF - sur le jeu en ligne. En attendant une ouverture à la concurrence exigée par Bruxelles, le créateur de Partouche Interactive, qui a embauché son ami Eric Cantona en «ambassadeur» de la marque, continue d’en faire des tonnes. Ce grand comédien menace régulièrement de lâcher ses sites depuis Gibraltar ou Malte sur le mode «donnez-moi vite ma licence ou je fais un malheur». Et se pose en victime d’un Etat prédateur, insensible à la situation de casinotiers déjà éprouvés par le contrôle à l’entrée des mineurs et l’interdiction de la cigarette. «Il est authentique et parle avec ses tripes, dit de lui Hubert Monzat, conseiller spécial du ministre du Budget, en charge du dossier des jeux en ligne. Partouche assume ce qu’il est, il n’a pas honte de son métier.» Un côté premier degré dans lequel il excelle lorsque, au cours d’un colloque, il s’offusque qu’un député l’ait comparé à Oussama ben Laden alors que ce dernier avait déclaré que contrôler les jeux d’argent en ligne était plus difficile que de trouver le chef d’Al-Qaeda. «J’ai fait léger, dit-il d’un sourire entendu, mais j’aimerais qu’on me juge sur ce que je fais, pas sur les apparences. Le poker en France, c’est moi ; l’Internet, c’est moi.» En somme, le monde du jeu lui doit tout.
Dans ses propres casinos, ce show perpétuel fait moins rire ses croupiers. L’ami du show-biz (il cite Michel Boujenah et Dany Boon parmi ses proches) y traîne la réputation de patron «antisocial», allergique aux syndicats et menaçant de virer ceux qui osent faire grève à la Saint-Sylvestre comme cela s’était passé en 2006. Je suis un boss comme il y en a de moins en moins en France«Celui qui choisit de pénaliser le client un 31 décembre, il n’a plus rien à faire chez nous», dit ce partisan de Sarkozy.
Quand il ne travaille pas, c’est-à-dire jamais, à l’entendre - «J’ai le disque dur qui tourne en permanence, ma femme me reproche de ne pas être là mentalement» -, ce fou de magie, inconditionnel de Frédéric Dard et d’Audiard, fait du ski l’hiver à Auron (Alpes-maritimes), où il s’est acheté un hôtel, et du golf l’été. Il lit dans les avions, «de tout», dernièrement un livre de psychanalyse, et écoute du jazz. Il ne sort pas ailleurs que dans ses casinos, c’est-à-dire tout le temps, et ne vous quittera pas sans vous avoir redit qu’il est un commerçant dont le métier est «de faire de l’argent». Comment ? Ultime retour à Isidore et à la blague la plus connue du clan : «Pour gagner au casino, il faut en acheter un.»
source libération le 23 janvier 2008