Quand le jeu incite les salariés à se dépasser

Quand le jeu incite les salariés à se dépasser

Encourager les jeux de hasard pour doper la performance des salariés est très en vogue outre-Atlantique. D'autant que ce concept peut diminuer l'absentéisme.

Le jeu n'a, en principe, pas sa place sur le lieu de travail, mais les choses changent depuis que les vieilles dames « accros » aux machines à sous des casinos inspirent les experts en motivation du personnel.

C'est, en effet, à partir de leur observation que Brooks Mitchell, un professeur d'une université du Wyoming, aux Etats-Unis, a mis sur pied avec quelques anciens élèves un outil innovant de motivation des salariés.

Baptisé « Snowfly », ce jeu repose sur une multiplication de récompenses immédiates dès lors qu'un salarié atteint l'objectif qui lui a été assigné.

Bien entendu, il ne s'agit pas de perdre son temps à jouer en ligne au solitaire ou bien aux dames, en cachette et dans son coin, mais d'utiliser le jeu comme un levier d'amélioration de la productivité.

L'originalité du concept est que ce programme de motivation fonctionne comme un casino en ligne et que les salariés, avec la bénédiction de leur hiérarchie, sont incités à utiliser leur ordinateur comme une machine à sous.

Résultat : réduction de coûts, hausse d'un chiffre d'affaires, plus forte productivité, suivi d'une formation spécifique, tout est bon à être récompensé. De plus, en assouplissant l'ambiance professionnelle, le jeu rend les gens plus heureux au travail et diminue l'absentéisme.

Souvent décriés, les jeux d'entreprise sont parfois considérés comme de la poudre de perlimpinpin par certaines entreprises et consultants et il faut savoir faire le tri dans la pléthore de jeux mis en avant. Toutefois, des groupes aussi sérieux que Danone, Cisco Systems, Borland Software incorporent différentes formes de jeux dans leur processus de formation. Et chez LDF Sales & Distributing, un distributeur de boissons américain qui utilise le programme Snowfly depuis trois ans, on affiche des résultats tangibles.

Les pertes sur inventaires du groupe ont diminué de moitié et généré 31.000 dollars d'économies (24.240 euros) depuis que la direction gratifie de points les salariés qui vérifient les containers plutôt deux fois qu'une. Même système incitatif au sein de la banque First Interstate, couronné de résultats.

L'établissement, qui avait coutume d'offrir un voyage à Las Vegas à son meilleur vendeur de cartes de crédit, a préféré recourir à Snowfly, un système nimbé de psychologie comportementale, pour permettre aux salariés de mieux faire le lien entre comportement attendu et récompense et améliorer la productivité. Résultat : depuis la mise en place du jeu de hasard en ligne, chaque département a dépassé ses objectifs de vente de cartes de crédit et l'un d'eux a multiplié ses objectifs par huit.

Deux douzaines d'entreprises ont adopté Snowfly : Alliance Data System, Interstate, LDF Sales & Distributing, une PME, Roto-Rooter... Le jeu, qui s'adapte aux objectifs de chaque entreprise cliente attire particulièrement les plus jeunes. Les salariés les plus performants reçoivent un nombre de points - de 2 à 5.000 - qu'ils peuvent ensuite jouer comme bon leur semble (machines à sous, courses de chevaux, jeux de cartes, etc).

Chaque point vaut 1 cent et tout le monde - du guichetier, camionneur, gestionnaire, télévendeur à l'encadrement intermédiaire - a ses chances. Le succès du programme repose sur un système de récompenses immédiates. La personnalisation des récompenses fait la différence et l'implication dans le jeu de l'encadrement intermédiaire garantit la pérennité du système.

Le coût de mise en place du processus dépend de la taille de l'entreprise, mais son prix minimal s'élève à 10.000 dollars (7.816 euros). Dans le même temps, la mise en ligne de l'outil diminue les charges administratives, facilite le suivi des performances sous un aspect ludique. Le but des entreprises qui adoptent Snowfly n'a rien de social. Doper le moral des équipes est essentiel pour leur bonne marche et beaucoup voient dans ce jeu un moyen inattendu de réduire ou de geler les salaires sans renoncer à encourager les primes. Fisrt Intestate dépense 12.000 dollars par an (9.386 euros) contre 4.000 auparavant, mais la banque estime mieux s'y retrouver.

Reste que, pour certains, ce système ne joue que sur la seule corde de l'incitatif. Il n'est pas adapté à plus de créativité ou d'inventivité. Il faut alors passer à des méthodes plus sophistiquées - qui peuvent se faire tout aussi ludiques - susceptibles de faciliter la prise de décision stratégique et les jeux de rôle. Et, surtout, l'important est de savoir pourquoi les gens jouent. « Vous pouvez jouer pour différentes raisons : pour vous divertir, pour battre le voisin ou être numéro un. Chaque raison commande un comportement différent », explique Jeffrey Goldstein, professeur retraité de l'université d'Utrecht.

MURIEL JASOR

Source les echos 30 Ocotbre 2006