Quand les bandits manchots ont le bras long au ministère
Justice. Une plainte pour favoritisme visant l’Intérieur et Laporte était examinée vendredi.
Y a-t-il quelque chose de truqué au royaume des casinos ? Vendredi, la chambre de l’instruction de Paris a examiné une plainte pour favoritisme déposée par le casino de Gujan-Mestras (Gironde), visant le ministère de l’Intérieur, tutelle des jeux, et Bernard Laporte, secrétaire d’Etat aux Sports. Le parquet, le doigt sur la couture du pantalon, s’oppose aux poursuites ; la juge d’instruction saisie, Françoise Desset, y est favorable. La cour d’appel tranchera.
Depuis six ans, le casino de Gujan-Mestras, implanté sur le bassin d’Arcachon, subit l’ostracisme des pouvoirs publics, malgré le soutien de la municipalité UMP. Frédérique Ruggieri, la gérante, a déjà obtenu trois fois la condamnation de l’Etat français devant le tribunal administratif. Contraint de lui délivrer une autorisation d’ouverture, le ministère de l’Intérieur lui mégote depuis la délivrance de machines à sous, le nerf de la guerre. La Place Beauvau n’a pourtant rien contre les casinos, mais elle privilégie les cadors du secteur, les groupes Partouche et Barrière, les casinotiers indépendants se faisant bananer au motif d’une «offre excessive de jeux».
Jogging. En Aquitaine, les récentes décisions de la Commission supérieure des jeux (CSJ, qui dépend de la place Beauvau) sont stupéfiantes. Cinquante machines à sous supplémentaires (portant le total à 300) pour le casino de Bordeaux, propriété du groupe Barrière, dont le PDG Dominique Desseigne est un partenaire de jogging de Nicolas Sarkozy. Barrière possède aussi le Fouquet’s, restaurant préféré du Président. Quinze machines en plus pour le casino de Lacanau, contrôlé par des békés antillais après avoir été la propriété de Bernard Laporte. Dans le même temps, Gujan-Mestras se voit refuser de nouvelles machines au prétexte d’une baisse de 20 % du chiffre d’affaires de son concurrent direct, le casino d’Arcachon (groupe Partouche), dont le PDG n’est autre qu’Enrico Macias, barde de la sarkozie. On barbote en pleine république bananière.
Jeudi, le tribunal administratif de Bordeaux a une fois de plus condamné le ministère, au motif que son obstruction «confine le casino [de Gujan-Mestras] dans une exploitation non-rentable, menaçant sa pérénité». Humiliation suprême, il fait «injonction au ministre de procéder à un réexamen de la demande d’extension de son parc de machines à sous». En 2003, alors à l’Intérieur, Sarkozy cosignait avec le lobby casinotier un «relevé de conclusions» stipulant que tout établissement exploitant des jeux de table a désormais «vocation à obtenir plus de 50 machines à sous». Mais ce qui vaut pour Partouche et Barrière ne vaut visiblement pas pour les francs-tireurs : le casino de Frédérique Ruggieri reste scotché à 50 bécanes, en dépit de l’avis favorable du préfet, et risque la faillite après avoir perdu 200 000 euros l’an dernier.
«Rien à foutre». Sarkozy avait fait mine d’intervenir en sa faveur l’été 2005, lors de ses vacances arcachonnaises, pris à partie par les salariés du casino aux cris de «Sarko Zorro, emploi zéro». Contraint de lui autoriser 50 machines à sous, il n’avait pu s’empêcher cet ultime pied de nez : son feu vert n’était valable qu’en octobre, après la saison estivale.
Intervient entretemps Bernard Laporte, qui avait fait miroiter à Frédérique Ruggieri ses relations auprès de Nicolas Sarkozy, contre 10 % du capital de son casino… Une plaisanterie, a depuis rectifié Laporte : «J’en ai rien à foutre de son casino ; si je suis ami avec Sarkozy, ce n’est pas pour l’emmerder et encore moins pour en profiter.» La semaine dernière, le parquet de Paris a proclamé qu’il classait, faute de preuve, la plainte du casino visant directement Laporte, pour tentative d’extorsion de fonds. Mais il fait moins de publicité sur la plainte initiale, pour favoritisme, déposée en mars 2007 auprès du doyen des juges d’instruction (avant qu’une réforme du code de procédure pénale n’oblige à porter plainte devant le parquet) visant plutôt Sarkozy.
RENAUD LECADRE
QUOTIDIEN : samedi 15 mars 2008 source http://www.liberation.fr