La folie du poker a envahi la France
D'un jeu qui sent le souffre, le poker est devenu un loisir entre amis voire pour certains un gagne-pain et même un mode de vie. Explication d'une mode popularisée par la télévision, par Internet...et par Patrick Bruel.
"Cela vous dirait, un petit poker?". Il y a quelques années, une telle phrase prononcée à 11heures du soir par un ami invité chez vous aurait sonné étrangement. Genre un peu traquenard ou embrouille. La pièce de théâtre puis le film "cuisines et dépendances" ne montraient-ils pas un Jean-Pierre Darroussin détroussant de plusieurs milliers de francs une vedette de télévision, invitée par hasard dans sa famille, au cours d'un poker assassin ? Et pourtant aujourd'hui, tout a changé.
Car la folie du poker a envahi la France. Et chez les trentenaires et même quadragénaires, il n'est pas rare de voir débarquer un copain avec sa mallette longue et étroite contenant les précieux jetons qui vont permettre de se lancer dans une folle partie jusqu'à plus d'heure. Le poker a aujourd'hui acquis ses lettres de noblesse auprès d'un large public.
Au départ, c'est la télévision qui a mis le feu aux poudres. Canal + puis Eurosport ont su développer des programmes attractifs, à la fois ludiques et pédagogiques, avec le suspens qu'il faut mais aussi les explications nécessaires, pour susciter au départ la curiosité. Le fait qu'une vedette aussi populaire que Patrick Bruel ait été réellement sacrée une année champion du monde de poker a achevé de lever l'opprobre sur ce jeu de cartes.
Restait à passer à l'acte. C'est là que résidait la difficulté majeure. Car tout le monde n'a pas envie de tenter d'entrer à l'Aviation Club de France, célèbre salle de jeux située sur les Champs Elysées, où le poker est roi. D'où la vague de joueurs à domicile, jeunes et vieux, hommes et femmes, qui s'est développée ces derniers mois.
L'autre limite venait des règles. Là encore, le tabou a été levé avec le "Texas all'em", le jeu qui sévit dans la plupart des tournois internationaux. Fini le poker dit "fermé", avec ses cinq cartes dissimulées aux yeux de l'adversaire. On joue désormais avec deux cartes cachées qui peuvent se combiner avec cinq cartes retournées au fur et à mesure sur la table et valables pour tous les joueurs. Il s'agit donc de créer des variantes à cinq cartes avec un total de sept cartes disponibles. Une question de probabilité en fonction des deux cartes dont on dispose et de celles sur la table qui peuvent être dévoilées.
La fameuse plaisanterie tirée d'un album de la bande dessinée Lucky Luke - "le poker, c'est bien ce jeu qui se joue avec cinq cartes ? - Tu sais jouer au poker, étranger !" - n'est donc plus tout à fait de mise. L'argent ramassé à la fin de la partie, lui, reste d'actualité. Tout dépend de l'accord initial entre partenaires sur le montant de la "cave", l'argent total mis en jeu.
La question des gains (et des pertes) n'est pas anecdotique dès que l'on sort du cercle amical. Car tant sur les sites de poker en ligne qui se multiplient -Internet fait beaucoup dans la démocratisation de ce jeu- que dans les tournois dont le nombre ne cesse d'augmenter, on peut gagner des milliers voire des dizaines de milliers de dollars. Jusqu'aux gains extrêmes tel le record des douze millions de dollars empoché par un joueur cet été lors des World Series of Poker. Encore faut-il avoir déboursé les quelques centaines de dollars de l'inscription.
Cette vague a généré, outre de nouveaux loisirs entre amis, des modes de vie dédiés, avec des hommes et des femmes qui arpentent leur pays voire leur continent et même souvent la planète, de tournois en tournois, pour aller tenter leur chance, gagner leur vie en jouant au poker et parfois faire le coup de leur vie qui les mettra à l'abri du besoin. Le tout après des parties d'anthologies, ou cachés derrière des lunettes noires, une casquette, balladeur numérique aux oreilles ou cigarettes en bouche, ils auront alterné coup de bluff et donne de rêve.
Olivier Provost le 4 Novembre 2006 latribune.fr