Affaire Placanica : les conséquences pour les jeux en France
Après l'arrêt Gambelli, l'affaire Placanica porte un nouveau coup aux monopoles de jeux en Europe. Cet arrêt risque de sonner le glas de la politique française en matière de jeux.
Dans un arrêt retentissant, la Cour de Justice des Communautés Européennes vient de rendre une décision qui aura indubitablement - et au grand dam de certains - comme conséquence, à moyen terme, une ouverture règlementée du marché des jeux en Europe (CJCE, 6 mars 2007, aff. C-338/04, C-359/04, C-360/04, procédures pénales c/Massimiliano Placanica).
La France ne devrait pas faire exception à la règle, même si les nouvelles dispositions en matière de jeux insérées dans la loi sur la prévention de la délinquance, semblent indiquer le contraire.
En effet, à l'occasion de la désormais célèbre affaire "Placanica" - du nom d'un des intermédiaires en Italie de l'opérateur de paris britannique "Stanleybet " - la CJCE a jugé les sanctions pénales italiennes pour les collectes de paris par des intermédiaires agissant pour le compte de sociétés étrangères contraires au droit communautaire :
"Un État membre ne peut appliquer une sanction pénale pour le défaut d'accomplissement d'une formalité administrative qu'il refuse ou rend impossible en violation du droit communautaire."
Ce faisant, la CJCE confirme sa décision "Gambelli" rendue en novembre 2003, par laquelle elle avait déjà fortement limité la possibilité pour les Etats membres de restreindre la libre prestation de services intra communautaires. En vertu de l'arrêt "Gambelli", les Etats membres doivent prouver qu'ils ont une politique de jeux cohérente et systématique - autrement dit qu'ils n'interdisent pas aux opérateurs européens de fournir leurs services sur leur territoire sur le fondement de la protection du consommateur tout en favorisant leurs propres monopoles- pour pouvoir limiter l'offre de jeux d'argent.
Les antécédents
La loi italienne subordonnait l'organisation de jeux de hasard ou la collecte de paris à l'attribution préalable d'une concession et d'une autorisation de police. Des concessions avaient été attribuées par le biais d'appels d'offres qui excluaient les opérateurs constitués sous la forme de sociétés dont les actions étaient cotées sur les marchés réglementés, autrement dit les sociétés cotées en bourse.
Or, les plus grosses sociétés de jeux et paris en ligne établies en Europe sont cotées en bourse. Tel est par exemple le cas de "Partygaming", cotée à la bourse de Londres, pour ne citer que la plus connue.
A l'occasion d'une instance engagée à l'encontre de monsieur Placanica par les autorités italiennes, le tribunal italien de Larino avait saisi la CJCE d'une question préjudicielle sur la base de l'article 234 du Traité instituant les Communautés Européennes, afin de savoir si la législation italienne était compatible avec les principes communautaires de la liberté d'établissement et de la libre prestation de service.
Ce recours a eu lieu sur fond de conflit entre la jurispudence "Gambelli" de la CJCE et celle de la cour de cassation italienne.
La décision de la CJCE
La CJCE rappelle que si les restrictions à la liberté d'établissement ainsi qu'à la libre prestation des services peuvent être justifiées par des "raisons impérieuses d'intérêt général" telles que des raisons d'ordre moral ou religieuses, elles doivent aussi respecter les conditions de proportionnalité et faire partie d'une politique "cohérente et systématique".
En ce qui concerne l'octroi de licence, la Cour juge que le fait que le nombre de licences disponibles ait été considéré comme "suffisant" pour couvrir l'ensemble du territoire, ne peut justifier des restrictions à la libre prestation de services et à la liberté d'établissement.
Elle considère ensuite d'une part qu'un système de licence peut constituer un mécanisme efficace de contrôle des opérateurs de jeux afin de prévenir l'exploitation de ces activités à des fins frauduleuses et criminelles ;
D'autre part - et c'est là un nouvel argument décisif de la Cour en faveur de l'industrie du jeu - en ce qui concerne l'exclusion des sociétés cotées de la procédure d'octroi de licences, elle juge que cette exclusion va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé.
Par conséquent, le défaut d'autorisation de police ne peut être reproché à des personnes qui n'auraient pas pu les obtenir, du fait qu'elles avaient été exclues de l'octroi d'une concession en totale violation du droit communautaire.
Enfin, la Cour réaffirme qu'un État membre ne peut pas appliquer une sanction pénale pour une formalité administrative non remplie, lorsque l'accomplissement de cette formalité est refusée ou rendu impossible par l'État membre concerné en violation du droit communautaire.
Les conséquences probables de l'arrêt en France
Alors que la France - déjà sous le coup depuis octobre 2006 d'une procédure d'infraction de la Commission européenne en raison de sa règlementation restrictive en matière de paris sportifs - vient d'adopter une nouvelle loi prévoyant des mesures plus sévères à l'encontre des opérateurs de jeux étrangers, cet arrêt risque de sonner le glas de la politique française actuelle en matière de jeux.
En effet, il y a fort à parier que la politique française en matière des jeux viole le droit communautaire : même si aucune juridiction française ne s'est encore prononcée sur le sujet, cette politique n'est certainement ni "cohérente" ni "systématique" au sens de la jurisprudence de la CJCE. En effet, la France encourage vigoureusement l'offre de jeux à travers ses propres monopoles, la Française des Jeux et le PMU, tout en empêchant les étrangers d'offrir leurs services en invoquant des motifs tirés de la protection du consommateur.
Ceci signifie qu'elle viole le droit communautaire. La Commission aura l'occasion de se prononcer dans quelques mois à ce sujet dans le cadre de l'enquête ouverte contre la France.
Or, la législation française en matière de jeux punit de sanctions pénales ceux qui participent à la tenue d'une maison jeux de hasard (loi du 12 juillet 1983 sur les jeux de hasard) et ceux qui organisent des loteries et paris sportifs (loi du 21 mai 1836 sur les loteries). Elle punit aussi pénalement ceux qui font de la publicité pour des jeux d'argent.
C'est d'ailleurs sur le fondement de la publicité pour un site de paris sportifs interdit que les CEO de Bwin ont été poursuivis en France quand la société autrichienne a voulu conclure un accord de sponsoring avec le FC Monaco. Bwin voit donc certainement déjà dans la décision de la CJCE un élément très favorable à sa défense face aux poursuites ouvertes contre elle en France.
En effet, en vertu de la décision Placanica qui interdit les sanctions pénales lorsque l'accomplissement d'une formalité est refusée ou rendu impossible en violation du droit communautaire, il est fort probable que la France soit obligée à moyen terme de réviser sa législation dans le sens d'une moins grande sévérité en supprimant les sanctions pénales existantes et celles prévues par la nouvelle loi.
Par ailleurs, eu égard à la décision de la Cour interdisant l'exclusion d'opérateurs privés d'une procédure d'octroi de licences, il faut noter que la France ne permet pas à l'heure actuelle à des opérateurs européens privés (tels que les sociétés de jeux en ligne) de postuler pour une licence de jeux.
Ainsi, elle sera certainement obligée à moyen terme de prévoir un système d'octroi de licence ouvert (c'est-à-dire non discriminatoire) mais néanmoins règlementé - comme c'est déjà le cas au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne, et bientôt en Belgique - d'autant que la licence de la Française des Jeux arrive à expiration en 2008.
En attendant, la décision de la CJCE apportera de l'eau au moulin des opérateurs de jeux européens qui y voient déjà une occasion sans précédent de pénétrer le marché français, un marché important en Europe.
S'ils se voyaient opposer un refus de la part de l'administration française face à une demande de licence, ils seraient forts d'invoquer l'arrêt Placanica et d'obtenir que la France révise sa règlementation plus tôt que prévu...
Source 20 mars 2007 journaldunet.com
L'AUTEURTHIBAULT VERBIEST
Associé, Ulys Cabinet d'avocats