Les confessions d’un ancien pro de la triche à la roulette
« On n’a pas les jetons, quand on est poussettiste ».
Servir de faire-valoir à une très belle fille, à plus forte raison s’il s’agit d’une danseuse du Crazy Horse, peut parfois conduire à des expériences abyssales, quand on est joueur. Au début des années 2000, cela a conduit Frantz à être recruté … par un gang de tricheurs professionnels à la roulette.
Près d’une année avec eux, il a écumé les casinos belges, français et italiens.
Pour Casinos Jackpots, il décrit de l’intérieur, le quotidien du monde de la triche, organisé en groupes extrêmement hiérarchisés et secrets. Des équipes se croisant sur toutes les grandes tables internationales et n’obéissant qu’à leurs propres lois, pour mieux tondre les croupiers.
- Comment j’ai été recruté.
- Arnaque à la poussette, mode d’emploi.
- Tricheurs italiens contre contrôleurs de jeux britishs.
- L’art de tout voir sans jamais être vu.
- Pourquoi j’ai fini par raccrocher.
Comment j’ai été recruté pour faire parti d’une équipe de tricheurs professionnels à la roulette
C’est au cours d’un diner avec sa compagne de l’époque et l’une de ses collègues du Crazy que Frantz devait rencontrer pour la première fois Aldo, le nouveau petit ami italien de cette dernière. Les deux filles revenaient d’un gala à Cannes.
La conversation porta assez vite sur les salles de jeux de la Côte et de la passion commune des deux garçons: la roulette.
« Rapidement, je devais m’apercevoir explique Frantz, qu’Aldo était absolument incollable sur tous les tapis verts d’Europe.
Un vrai winner, j’étais littéralement subjugué. Et comme je lui posais plein de questions, en fin de soirée l’italien finit par me lancer avec un sourire énigmatique :
« Devant un cylindre pour qui sait être rapide, ce n’est pas difficile de forcer le destin. Et d’ajouter d’un petit mouvement de main, c’est juste une question de tempo. »
« Les jours suivants, mon nouvel ami me fit peu à peu comprendre qu’il jouissait d’une réputation certaine dans le monde des casinos : celle d’un virtuose accompli de « la poussette ».
Bénéficiant d’une dextérité digne des grands manipulateurs, cette qualité lui conférait d’emblée l’autorité de diriger sa propre «compagnie». C’est ainsi le terme utilisé par les pros pour désigner entre eux, ces groupes informels de tricheurs sillonnant les casinos un peu partout dans le monde.
Après m’avoir affranchi, il ne tarda à me présenter ses comparses, également italiens.
Deux petits mecs taiseux, au look passe-muraille. Le seul trait commun qui les reliait avec leur patron était un tempérament passablement nerveux et taciturne. Il me les présenta comme « le disturber » et le « changeur ».
Précisons, qu’à l’inverse, l’allure volubile et branchée de Frantz, portant beau le costume Prada et arborant toujours des montres de marques, tranchait avec le reste de l’équipe et faisait de lui une recrue de choix :
« Aldo avait son idée. Sans me le dire, il m’avait déjà testé : à ses yeux, j’avais tout à fait le profil pour jouer le rôle du «ponte», un gros client dont la surface de jeu présumée rassure. Disposant de plus de la double nationalité franco-suisse et à ce titre de deux passeports, j’avais en main un atout appréciable pour déjouer la vigilance des physionomistes. Je fus intégré et brieffé sur-le-champ ».
Arnaque à la poussette, mode d’emploi.
« Il va sans dire que dans l’enceinte du casino, nous n’étions pas censés nous connaitre. Nos rôles étaient répartis selon une mise en scène quasiment millimétrée.
Je faisais mon entrée et je changeais d’emblée 3000 euros à la caisse.
Puis je rejoignais la table qu’Aldo déjà installé, avait préalablement sélectionnée. Il n’avait pas son pareil pour détecter d’un seul coup d’oeil la faille : le croupier débutant, le coup de fatigue chez les employés. C’est donc en fonction de son choix et souvent à une heure tardive qu’immédiatement j’entamai sur deux ou trois parties successives une couverture la table au maximum en jouant sur les couleurs et les parités.
L’essentiel était de ne perdre d’argent à aucun prix, sinon le strict minimum. Discrètement, je faisais en sorte de lui passer trois ou quatre jetons de 100 dollars qu’il « empalmait » en les faisant disparaitre dans sa paume de main.
Entrait alors en scène le « disturber ».
Il s’employait juste après le « rien ne va plus » du croupier à distraire son attention. En lui brandissant par exemple un billet sous le nez: « Savez-vous où je peux changer mes Francs suisses? ».
Moment qu’Aldo mettait aussitôt à profit, une fois la boule définitivement calée dans l’encoche du numéro sur le cylindre, pour placer les jetons sur le plein correspondant par une discrète « poussette ».
À cet exercice, l’italien était proprement redoutable. J’avais toutes les peines du monde à le voir faire en direct. Sans même que je m’en rende compte, la mise figurait invariablement en bonne place. Sitôt payé de mes gains, au revoir, Simone. Je quittais la table. Ultime précaution, je transférais subrepticement les jetons au changeur à qui revenait la tâche de convertir le pactole en cash.
Une fois l’équipe dehors, les bénéfices étaient équitablement partagés. L’opération au total, n’avait total guère duré plus de dix minutes et permettait de doubler, voire de tripler la mise initiale.
Tout cela, dans le meilleur des cas. Parce que dans la pratique… Il arrivait quelquefois certains impondérables. Je me souviens de ma première fois, après un voyage en voiture harassant, conduits à toute allure dans la grosse Maseratti du changeur.
C’était au casino de Blankenberg sur la côte flamande. À la fin de la toute première partie, j’avais tout bien couvert le tapis, comme on me l’avait expliqué. Mais au moment de me faire payer mes gains, un joueur peu scrupuleux de la table s’est attribué la moitié de ma mise.
Devant ma mine interloquée, le croupier nous a départagés en coupant la poire en deux. Regards noirs et grosse pression du côté italien. Par la suite, je me suis efforcé de montrer plus d’assurance.
Autre sujet de discorde, il était convenu qu’en dehors du « travail », nous avions tous interdiction absolue de jouer. Certains, joueurs invétérés, le faisaient quand même. D’où des invectives mutuelles sans fin dans la voiture sur le chemin du retour.
Tricheurs italiens contre contrôleurs de jeux britishs.
En moyenne, nous arrivions à faire deux casinos successifs dans la même soirée.
Des fois, il y avait déjà une autre compagnie installée à demeure. L’usage était de repartir dans l’instant et de laisser la place sans état d’âme.
Dans le petit milieu des tricheurs, tout le monde se connait et sauf quelques rares exceptions, les poussetistes sont absolument tous italiens. Pourquoi cette particularité?
Une rumeur tenace voudrait qu’ils soient généralement originaires de la région de Crémona, en Lombardie.
Il y a aurait même un vieux maitre sur place qui enseignerait l’art de la manipulation dans une école clandestine, équipée de tables de roulettes dernier cri. Personne n’a jamais pu vérifier cette info avec exactitude. Toujours est-il qu’il n’y avait pas que les membres des compagnies à pouvoir se reconnaitre entre eux.
Ils connaissaient parfaitement et étaient également connus non seulement des patrons de casinos, mais également des contrôleurs de jeux. Ces derniers, invariablement britishs – les Anglais sont réputés pour être les meilleurs sur le marché- étaient la bête noire d’Aldo, grand angoissé devant l’éternel.
Sans cesse grimé différemment, Il transportait avec lui toute une panoplie vestimentaire et d’accessoires lui permettant à loisir de changer d’apparence et de leur fausser compagnie: lunettes, perruques, fausses moustaches. Sans parler des faux papiers adéquats, eux aussi du voyage.
Lorsque la venue intempestive des troubles-fêtes se déclarait, un signal distinct, le geste de poser ostensiblement sa main sur le front signifiait aux autres la nécessité de devoir décamper au plus vite.
Il y avait ainsi toutes sortes de codes gestuels pour gérer les imprévus du tapis.
À la roulette américaine notamment, pendant le jeu le poussetiste ne peut pas voir tourner la boule dans le cylindre, c’est donc soit le changeur soit le disturber, resté debout à qui était dévolus le soin de faire manuellement les annonces des numéros.
L’art de tout voir sans jamais être vu
Avec Aldo et ses comparses, nous n’avons fait nos tournées que dans les pays proches, tous les casinos belges sans exception, quelques-uns sur la Côte d’Azur et également ceux en Italie.
Mais l’objectif ultime de tout poussettiste qui se respecte est de sillonner le monde entier et d’être parmi les premiers à fouler le sol des casinos nouvellement mis en service, en Floride, en Australie ou au Cambodge.
Ces derniers constituent en effet une véritable aubaines pour les compagnies et la perspective de gains rapides et conséquents ramassés en toute impunité : les équipes italiennes ne sont pas encore « photographiées » par leurs physionomistes.
Dès lors qu’une telle opportunité se présentait, le reste de l’équipe partait alors sans moi: Ils préféraient engager un ponte sur place qui puisse se fondre dans le paysage local.
En revanche, et cela peut sembler paradoxal à première vue, la présence des caméras de surveillance, incontournables dans n’importe quel casino lambda, ne se révélait en aucun cas un frein à notre manière d’opérer. C’était même le cadet de nos soucis.
Derrière l’écran de contrôle, comme me l’avait expliqué Aldo, pour surveiller toutes les tables, il n’y a en général qu’un seul employé. Pas suffisant. En cas de doute il faut pouvoir relire la bande au ralenti pour détecter la fraude. Le temps encore de prévenir la sécurité : trop tard ! Nous étions déjà dehors.
La plus grande des qualités dont doit faire preuve un poussettiste en action n’est pas tellement l’art de la manipulation.
Sa dextérité le rapproche pourtant des plus grands prestidigitateurs de close-up.
Il doit avant tout bénéficier d’un sens de l’observation hors du commun. Rien de ce qui se passe à la table ne doit lui échapper, mais il doit pouvoir également surveiller ses arrières et regarder partout à la fois.
Il a sans arrêt quatre fers au feu. C’est réellement cette rapidité d’appréciation et de décision qui fait la différence. De ce point de vue, Aldo faisait partie des « grands » de la profession et unanimement respecté comme tel.
Pourquoi j’ai fini par raccrocher
Au bout d’une petite année, il m’est vite apparu que de tous dans l’équipe, j’étais le maillon faible et le plus exposé aux risques. Et par voie de conséquence également l’élément le plus facilement jetable. Dans toutes les compagnies de tricheurs, c’est chez les pontes où l’on enregistre le plus grand turn-over. Quelques mois de plus et ma couverture de flambeur aurait sans doute fini par être carbonisée.
De plus, j’éprouvais le sentiment que ma nouvelle activité était une sorte d’aveu d’impuissance. Quelque part, on triche parce qu’on n’est pas capable de bien jouer. Ce qui me poussait à dépenser tout cet argent (à mon sens mal) gagné en futilités de toutes sortes.
Surtout, je m’ennuyais terriblement. Pendant les temps morts, les conversations tombaient à plat. Hormis quelques considérations limitées sur le jeu, mes comparses ne devenaient intarissables que lorsqu’on abordait leur frénésie commune de voitures de luxe, forcément italiennes. Ou la façon dont ils s’y prendraient pour se reconvertir dans l’achat d’un restaurant (nécessairement une pizzeria). Bref, des sujets à la longue passablement réduits. J’ai rapidement pris mes distances. »
Frantz a aujourd’hui tourné la page pour de bon :
il est devenu magistrat. « Une façon comme une autre plaisante-t-il, de me sentir plus que jamais au-dessus des lois. » Pour autant, il ne regrette rien de son ancienne vie aventureuse. Pour preuve en guise de conclusion, il s’empresse d’ajouter : « J’ai toujours la même opinion de la justice et de la morale qu’à l’époque. Aussi piètre. »